La nuit, tous les chats sont gris

Par Jacques, le 23 juin 2014

Des éclats de verre jonchent le sol. Du sang perle lentement de la tête de ce pauvre homme. Des gens rient aux éclats. Le bruit du klaxon des voitures anime la soirée mieux que n’importe quel bar environnant. Le petit groupe en veste en cuir noir s’esclaffe en voyant le malheureux essayer de se relever, avant de lui asséner un violent dans les côtes. Les rires repartent de plus belle.

Au troisième étage, l’homme s’énerve. Le ramdam de la rue l’empêche de dormir. Il marmonne, fait les cent pas, hurle un puissant "VOS GUEULES" depuis sa fenêtre, se recouche. Quelques minutes plus tard, se relève, se vautre sur le canapé, allume la télé, végète.

Au cinquième, deux têtes blondes dorment paisiblement, fenêtre ouverte pour profiter de l’air frais. Main dans la main, ils sont paisibles, rien ne vient perturber leur nuit. Les draps jetés au sol, nus, rien ne semble pouvoir les atteindre.

De l’autre côté de la cloison, un chantier sans nom. Des jeunes, probablement adolescents, éméchés, en plein débat sur le rôle des fougères dans la création musicale au Moyen-Age. Des pétards qui circulent, de nombreux cadavres d’alcool fort. Deux filles endormies sur le canapé, une autre proche de les rejoindre.

Dans l’immeuble d’en face, au premier, un moment de grâce. Cette magnifique femelle qui déambule, féline, s’offrant aux regards. Je ne suis pas le premier à l’avoir remarquée. Les badauds se pressent, plus ou moins discrètement. Malicieuse, elle daigne jeter quelques regards de dédain à l’attroupement qui se forme. Du dédain, mais également de la tension. Un regard comme on en fait plus, d’une intensité telle que j’en tombe presque de mon promontoire.

L’homme en sang est parti se faire soigner. Le groupe en veste noir a déserté la place. L’homme énervé. Les têtes blondes n’ont toujours pas bougé. Les prépubères ont fini par rendre les armes. Les badauds ont fini par déserter la place, convaincus que rien de plus ne se passera. La voilà désormais qui me fixe intensément. Cette nuit d’été est magnifique. Les étoiles commencent à faiblir. Je suis tout à fait collé contre cette vitre qui refuse de s’ouvrir. Hagard, la langue pendue, je suis fait comme un rat. La féline m’a rabaissé, je suis à ses pieds, incapable de faire quoi que ce soit.

L’intensité de son regard me captive toujours autant. Seule sa gueule laisse filtrer un petit sourire narquois. Fou à lier, je saute sur place, happé par ce regard, cette malice, ce charme, contre lesquels je ne peux lutter. Satisfaite d’elle-même, elle détourne son regard pour le porter vers le soleil qui commence sa journée. Un dernier regard vers moi, le temps de constater sa victoire, elle s’en retourne dans le couloir derrière le salon.

Laissé seul à mes frustrations, je reste bêtement devant la fenêtre, espérant un retour de la belle. En vain. Il fait désormais jour. Les têtes blondes fêtent leur réveil. Je m’en retourne près des gouttes de sang désormais séchées, seul. Non sans effectuer un dernier miaulement pour marquer mon désarroi à la belle.

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