Lorsque le métro s’arrête à la station République, les badauds en descendent et filent droit vers les escaliers qui les conduisent vers leurs correspondances. Toute la journée le spectacle de ce flot ininterrompu amuse où étonne le chaland de passage.
Je suis d’ordinaire l’une des gouttes d’eau de cette grande vague, contribuant à ma mesure à ce mouvement perpétuel sur le chemin de mon emploi salarié. Chemise blanche rentrée dans le pantalon de toile, veste grise et cravate à motifs, chaussures de ville en cuir ou, plus rarement, en daim, attaché-case à la main et écouteurs sans fil dans les oreilles, cette routine quotidienne est la mienne. J’ai le regard vide et me tasse et m’entasse comme je peux avec mes compagnons d’infortune le temps de quelques stations.
A l’heure des correspondances, chacun mène sa course pour être le premier arrivé dans le train suivant, passant ainsi devant les panneaux publicitaires sans y prêter attention. Mais aujourd’hui fait figure d’exception. Aujourd’hui je prends le temps de m’arrêter longuement devant le panneau numéro trois en partant de la droite. Car cette fois-ci, c’est ma trombine qui s’affiche en 4 mètres par 3 mètres et s’offre aux regards des passants pressés. C’est du moins l’histoire que j’aurai aimé vous narrer, au lieu de quoi je vais devoir me contenter de vous partager ce qui a failli advenir, à mon grand désarroi.
Quelques mois plus tôt, je suis appelé par une amie qui s’est dégotée une alternance dans une start-up ayant pour ambition de ressusciter une bière locale. Elle y occupe un poste de chargée de communication - charge à elle de faire connaître la marque. Elle me propose donc de venir passer un après-midi sur une terrasse ensoleillée de la butte Montmartre afin d’y déguster les bières de son employeur avec quatre inconnus. Ces quatre compagnons de circonstance présentent quelques caractéristique communes aux miennes : être à la recherche d’un emploi depuis plusieurs semaines, aimer flâner et procrastiner, être prêt à sacrifier une après-midi de mise à jour de son CV au profit de toute autre activité plus alléchante.
Nous voici donc attablés rue Custine munis de plusieurs bouteilles et pintes de bières blondes, blanches et ambrées. Un photographe nous mitraille de son appareil pendant que nous sommes sommés de consommer les-dits breuvages en accentuant nos expressions d’hilarité pour transmettre ostensiblement l’idée selon laquelle ces nectars sont la cause essentielle de notre bonheur. Au fur et à mesure que l’après-midi s’écoule il nous faut de moins en moins nous forcer : l’alcool fait son ouvrage de fort belle manière. Après quelques heures de travail intense, il est temps de plier bagages et de retrouver mes pénates. Le temps de retravailler les clichés et ce sera l’affaire de quelques semaines avant que nos mines ravies et béates s’affichent dans les principales stations du métropolitain parisien.
Les semaines s’écoulent, je piaffe chaque jour un peu plus. Excusez du peu : ce n’est pas tous les jours que ce genre d’opportunité se présente ! Un matin, la nouvelle tombe, terrible. En raison d’un différend financier, le photographe refuse de livrer ce qu’il doit et la campagne ne peut donc être déployée. Mon éphémère carrière d’égérie houblonnée s’achève aussi rapidement qu’elle aura démarré. Mais j’aurai cependant bien aimé voir ce que cela aurait donné d’avoir mon visage goguenard et imbécile offert à l’usager moyen de la régie autonome des transports parisiens.