Mai 2007. Je traîne mes guêtres depuis bientôt deux ans au Chesnay, petite ville bourgeoise collée à Versailles. Petits pavillons, trottoirs étroits, immense forêt et A13 à proximité. Tous les dimanche soirs, c’est le même rituel : arrivée après 20h à la gare de Versailles Rive Droite depuis Saint Lazare. Après 20h, donc après le dernier bus de la ligne A. S’ensuit une marche d’une grosse vingtaine de minutes. A mesure que l’on avance, l’éclairage public se fait plus résiduel et théorique. Place Lab, dernier vestige de sociabilité avec son bar Paquito et sa pizzeria miteuse tenue par des palestiniens - qui détone un peu dans l’ambiance de quartier. Puis dernière ligne droite en longeant ces pavillons qui ont presque tous la même particularité : le rez-de-chaussée est au premier étage, le rée-de-jardin étant occupé par des caves ou parkings. Ou, dans notre cas, aménagé en chambres humides et sombres.
C’est une époque marquée musicalement pour moi. Les sites de streaming n’existant pas encore, c’est l’heure des tout premiers lecteurs MP3. On obtient de la musique de deux façons : en achetant des CD assez cher qu’on télécharge ensuite sur des ordinateurs encore munis de lecteurs, ou bien on telecharge a la chaîne des torrents avec des connexions internet parfois douteuse. Il faut laisser les téléchargements se faire pendant la nuit, s’assurer que c’est bien l’album que l’on voulait et pas un porno puis l’ajouter sur le lecteur mp3. Toute une logistique.
Mes prescripteurs à l’époque sont la radio et les copains. L’avantage de vivre dans un cadre aussi éloigné de tout est que l’argent de poche que mes parents ont l’amabilité de me donner à l’époque ne me sert pas à grand chose, hormis un cinoche ou un fast-food dans le centre commercial du coin de temps en temps. Il me reste alors de quoi commencer un nouveau type d’activité : choper des places de concert. Plaisirs simples de la vie, partagés par les copains, on s’autorise quelques aller-retour à Paris en semaine pour des groupes qui en valent le coup.
Cette fois-ci coup de bol, c’est l’inverse, le concert vient à nous. Versailles a le bon goût depuis la fin des années 90 de produire - outre des scouts d’Europe, des prêtres et des électeurs de droite - d’excellents groupes de musique qui se sont fait un nom sur la scène internationale : Air et Phœnix en sont les fiers ambassadeurs. Pour l’occasion, une scène flottante est installée sur le bassin de Neptune, au cœur du parc du château de Versailles, ça a de la gueule. Le line-up de la soirée est très alléchant (bien qu’à l’époque j’admets venir essentiellement pour Phœnix) : Alex Gopher, que je me forcerai un peu à écouter par principe suite à cette soirée, Étienne de Crecy (mon estimé frère le trouve génial, jamais compris pourquoi), Phœnix et donc, Air. C’est le 29 juin, et comme c’est le mois de juin, la météo est donc maussade, il fait frais et il pleut. Gopher et Crecy peuvent jouer normalement, la nuit n’est pas encore tombée mais les nuages sont en place. Arrive ensuite Phœnix, qui parvient à dérouler non sans mal : d’énormes flaques d’eau se forment au milieu des amplis et des câbles électriques. L’expérience utilisateur comme on dirait aujourd’hui côté public est malgré tout excellente. Perdu pour perdu, l’ambiance surréaliste de ce concert de rock et d’électronique sous des hallebardes avec le château de Versailles en fond est en réalité magique.
Vient enfin Air, pour le clou du spectacle. Nous comprenons depuis les gradins que le montage de la scène est pénible pour les techniciens. Malgré tout, les deux membres apparaissent enfin. Dès le milieu de la première chanson, une coupure intervient. Après de longues minutes, ils décident de poursuivre et enchaînent avec un second morceau. Ce sera malheureusement le dernier, qui viendra conclure une soirée très particulière avec un mélange de satisfaction et de frustration. Gentiment nous sommes invités au prochain concert donné par Air à la salle Pleyel quelques mois plus tard, auquel je ne pourrai me rendre. Ce souvenir contrarié va me poursuivre plusieurs années durant.
Jusqu’à ce mois de juin 2024 (17 ans plus tard, croyez en vos rêves). Air s’annonce à la Philharmonie de Paris, un autre cadre assez sympa pour écouter de la bonne musique. Bon, c’est pas Versailles, mais franchement c’est très bien aussi. Et c’est donc 17 ans plus tard, avec quelques kilos en plus et en ayant troqué mon meilleur pote pour mon épouse que j’assiste enfin à un concert complet de Air. Le concert de célébration des 25 ans du premier album - moment ou tu comprends que tu as définitivement basculé dans le camp des boomers et des vieux combattants. Et comme un daron que je suis devenu je peux prendre mon pied avec un air sérieux en remontant mes lunettes depuis mon fauteuil pour conclure placidement en sortant « c’était quand même pas mal », ce qui sur l’échelle de contentement correspond pour un être normal à un orgasme.
Ce qui me fournit le prétexte de vous proposer ci-dessous une sélection maison de morceaux d’Air.